LA FIN DES FORÊTS
Imaginons maintenant un paysage. Fermons les yeux et laissons les rétines se positionner à un endroit central, les deux rétines se positionnent dans l’axe optique. Tentons maintenant d’être attentif à l’arrière de nos yeux, là où se localisent nos rétines, là où naît l’information lumineuse et l’image de notre réalité. Essayons de voir grand au dedans.
C’est une information lumineuse croisée qui nous parvient. L’image que nous avons du monde est une image de croisement.
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C’est un pays inconnu.
Nous sortons d’une forêt. Nous allons y revenir. Elle est encore présente derrière nous, c’est une forêt de pins. Nous sommes sur une île en bordure d’une mer qui s’étale là devant. Une ligne s’étale devant nous. La forêt nous appelle encore, elle nous borde comme la mer
Au sol, ce sont des galets. Le torse est ouvert à l’horizon, le
soleil n’est pas encore levé mais la nuit n’est pas complète. La solitude affleure comme une promesse et un déchirement. Tu respires dans ce paysage qui se ferme derrière toi et devant l’aube qui bientôt va s’ouvrir devant toi. Tu souris au devant, c’est l’immense ouverture devant la lumière qui s’annonce. Puis ce sourire se ferme sans bouger. Ouverture puis fermeture immobile. Derrière c’est une fermeture aussi.
Ton corps dans ce paysage devient pierre, unité close sur elle même, armure antique et noir mat. Ton corps s’ouvre puis s’est fermé en signe de protection. De cette fermeture, uniquement tes paumes touchent l’horizon devant toi, toute ton énergie se condense ici, et ce sont tes yeux qui se localisent ici. C’est ton lieu de vision car tu as les yeux fermés.
Puis tes doigts touchent l’horizon, ils le tatent, tentent de l’avaler, de l’enfermer à l’intérieur. Ah non, c’est déjà à l’intérieur. Tes doigts effleurent ton visage et l’horizon.
Tes doigts touchent tes yeux fermés et les projettent vers l’horizon.
Puis tu es happé par la forêt en arrière, elle t’appelle.
Tu te fermes au monde, tu ne respires pas le monde, tu protèges ta citadelle, tu protèges ce paysage que plus tard tu dévoileras.
Comment faire naitre le paysage en toi ?
Cette forêt est claire, elle est parsemé de traits de lumières.
En son centre apparaissent comme des petits points, ce sont les points de ta rétine qui réagissent à la lumière du soleil qui perce.
Cette forêt derrière ton dos appelle de ses cris la terre.
Puis débute un feu, ancestral, un feu qui a déjà lieu et qui aura toujours lieu. C’est un feu qui est une mémoire de la destruction, de la destruction qui toujours a labouré la terre et fait fondre les roches en lave, une destruction qui apparait aujourd’hui, comme si la cendre déposée il y a si longtemps, depuis les origines, se réveillait, comme si le feu revenait, réveillé par la maltraitance de l’homme. De ce sol, le feu sort, sol de lave, charbon ardent, désert du Tadrart.
Ce sol du désert est partagé par les forêts, c’est le même sol qui préservera chaleur et densité de la roche.
C’est aussi la perte qui est notre sol.
Une clairière borde la forêt, elle est bordée aussi par la mer
C’est ici qu’affleure la résidence du pin et la soif de la jetée, rien n’arrive ici, tout affleure c’est à dire que se frôlent les plaques et les arrivées d’eaux, les charbons ardents et les sirènes arides.
Non jamais plus tu ne te soumettras à la volonté des hommes, à leur maigre volonté et à la plus haute sphère de leur désir. Jamais non tu n’arriveras à écrire que tu te soumettras car toujours tu préserveras le feu, toujours affleurera la beauté sur ton front, toujours tu brandiras tes paumes comme autant de boucliers et comme autant d’offrandes. Ces paumes sont les trésors du coeur échoué, l’avenir du corps. C’est dans les lignes de ses paumes que tu lis le présent, que tu lis la peau du réel qui se tend, la peau du réel qui se déchire, la membrane du monde qui brûle. La voie se trace comme des rigoles dans le calcaire, blanches, minces et profondes car encore une fois, tu ne te soumettras pas, tu accepteras la noyade comme une immersion, l’incendie comme une morsure, l’ouragan comme une brulure.
C’est ce qui mord la vie que tu condenses. Peut être aussi, tout ne sera pour toi que futur.
Tu te laisses emporter dans le courant. Celui de Lampedusa, cimetière marin.
C’est dans cette position de victoire que tu te dresses au sortir de la forêt, qu’apparait ton dos bleu, devant la forêt, tu sors de la forêt de pins, tu vas jusqu’à la mer, les galets sont gros, la mer et la forêt appellent encore de leurs éléments contraires, l’eau et le feu se font face et tu es au milieu.
Tu es au milieu d’une guerre entre l’eau et le feu, entre les pleurs de la mère et les désastres du père, entre la tempête et l’incendie, entre le matriarcat ancestral et le patriarcat qui règne, trop contemporain, tu es au milieu de l’eau et du feu, tu es entre ce seuil qui appelle le feu derrière et l’eau démesurée, étendue, devant toi, l’eau infinie et le feu qui n’en finit pas de brûler
agent aquatique et agent flamboyant
quel est la langue de l’eau et la langue du feu
dans flamboyant on entend la rocaille du bouquetin et la forge qui tape, on entend la montagne qui vomit, le roc.
On entend la montagne du père et dans la mer le ventre
Toujours à l’horizon tu apparais dans le ventre dans la tempête qui flotte et qui rugit, toujours ton reflet est ce qui ricoche dans les vagues, quand la lumière se frotte, étincelante sur l’argent rosé par l’aube, et toujours tu es naufragé, tu te balances, tu es maintenant dans la mer, perdu au milieu de l’étendue sans nom, perdue dans l’étendue sans mot, à l’horizontal tu flottes et nages vers la ligne, vers la ligne qui trace imperturbable le dessin du visage, c’est le visage qui se trace à l’horizon, la ligne abrupte du menton, le lobe de l’oreille jaillit de l’eau, pachiderme atlantique, monstre fossile sorti des abysses, créature titanesque sorti du cimetière marin, cimetières des éléphants à jamais oublié sous la surface des eaux mais dont les effluves transpercent le noir
l’éléphant s’appelle Anvar et vient en aide aux naufragés en se logeant sous leurs lobes et sous leurs aisselles, tu le sens te porter par tes aisselles et tes lobes à mesure que ton corps se soulèves hors de l’eau, tu deviens son compagnon sans savoir qui est la monture de qui
Anvar te porte sans jamais te brusquer dans la douceur du courant qui t’emporte mais il pleut et la tempête te démonte quand apparait l’éclaircie sans que la nausée ne cesse, sans que ton corps ne soit soumis à la violence des vents, tes bras qui plient sous la pression des vagues et du temps et des maux qui encore te compriment la cage, t’enserrent dans la prison du coeur et forment autour de toi du métal qui tape contre tes os et sans que jamais tu n’abandonnes tu continues de nager, tu continues d’avancer dans ce rêve sans répit et dans cette noyade car Anvar est toujours là, ses défenses entre tes aisselles et sous tes lobes, il te transforme en esprit de la mer, vous êtes deux, accompagnés l’un de l’autre, il sourit sous toi ou au dessus et il t’accroche sur son dos où tu te cramponnes, ses deux grandes oreilles frôlent tes genoux et toujours la mer est grise, l’eau couleur perle, le nuage d’un gris nauséeux, tu es perdu au large, derrière toi la plage de galet et la forêt au milieu, le feu y brule encore
et sous Anvar crient les anciens peuples de la mer, rois pachidermiques aux membres immenses
continents
ils crient dans les vagues et c’est cette mélodie qui soutient tes pieds dans l’eau, tu manques de te noyer et d’un coup tu perds pied, plus de force, tu sombres, plus de force tu tombes, sans branle la vague vrombit, et encore toi tu croules, tombent dans le cri du cor, dans le corps des os qui crient, dans le creux des os qui tombent, dans le creux des os qui résonnent, tu tombes encore
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Tu rouvres les yeux, la tempête s’est calmée, tes yeux sont plongés dans le noir et tu sens l’eau sur ta peau mais douce et fraiche, l’eau est d’un bleu foncé mais on y distingue une forme de transparence, tu touches le sol, le sable, autour de toi de minces particules rendent l’eau parfois plus opaque, tu es debout tu flottes et peu à peu tu progresses vers tu ne sais quelle direction mais tu avances, lentement tandis que tes vêtement flottent aussi au gré des courants, créant des drapés fantomatiques dans le calme solitaire des fonds marins, tu avances toujours sur ce sol sableux et peu à peu tu réalises que ce sol est de plus en plus scintillant, de loin tu sembles apercevoir de plus grandes silhouettes, peut être une coque d’anciens bateaux, ta progression étant lente, les silhouettes se dévoilent avec plus de mystères, ce que tu voyais de loin sont en effet des carcasses de bateau, et l’or que tu voyais au sol n’est autre que leur butin dispersé lors du naufrage
tu ne peux t’empêcher de penser que tu es comme ses bateaux aux coques pourries par les âges mais toujours debout, allures monumentales et couleur verte emeraude, dispersion des trésors qui acourent sous le sol, les racines en dessous la mer que sont elles, les profondeurs de la terre, arcanes terrestres et flamboyantes, tu ne peux t’empêcher d’entendre (de par ta proximité avec le sol) le cri de ces arcanes, cri de la terre qui pulse dans les profondeurs marines
c’est en regardant ces ruines de bateaux, ces ruines de pirates que tu écoutes les cris de la terre
Les arcanes se mettent à luire, rouge vif et orangé, terre aquatique et terre de feu, elles te guident vers ce qui s’avère être un cimetière, tu retraverses les carcasses de bateau et tu arrives à un endroit où tombent des os, lentement, et sans discontinuité, les os tombent du ciel dans la mer, sur le sol, de longues défenses, au loin tu aperçois Anvar qui se rapproche de toi, son énergie est différente, elle est plus rouge surement contaminée par l’énergie des arcanes, rouge mais pas offensive, tu l’agrippes et grimpes sur son dos, il court et sans interruption les os tombent au fond de la mer, carcasses ancestrales et lumineuses, on ne saurait dire si ce sont des spectres ou des corps réels, ils tombent, sans bruit rejoignent le sol, une pluie d’os sur le sol de la mer et tu cours avec Anvar sans interruption, c’est une course infinie, les veines du sol sont de plus en plus épaisses, on dirait que le sol va s’ouvrir en deux pour que la terre s’entrouvre, on assiste ici à la rencontre lde a vie la plus immense, la montée de l’énergie de la terre, et la descente des carcasses des pachidermes, de tous les êtres vivants, victimes de la folie des hommes, leur esprit rejoint les abysses, vient se réchauffer sur la lave des arcanes
Dans la clairière où nous sommes arrivés avec Anvar, les os continuent de tomber et l’eau poursuit son mouvement trouble, puis d’un coup ça s’arrête comme si le dernier os tombé au sol avait sonné la fin du massacre, comme si la fin avait sonné, juste une éruption silencieuse concomitante avec une poussée venue d’en haut, mouvements inversées, éruption souterraine et poussée venue d’en haut, onde de choc sur cette clairière sous marine, la terre tremble et avec elle le sable se soulève, la lumière peu à peu se donne en spectacle et sans centre ni bordures, l’espace se met à vibrer, modestement, sans la magnificence de l’électricité mais avec la douceur du sol qui s’illumine et qui prend peu à peu son territoire, la lumière décolonise la mort qui jonche le sol
dans cette lumière, Anvar s’éloigne en me déposant au sol, on décèle ici une civilisation oubliée
ATLANTIS
Peut être que les désastres qu’ont subi les mythes sont encore présents dans nos veines, que le mythe est là pour guérir du traumatisme de la destruction
Puis vint la lune, sa lumière traversait le monde subaquatique et avec elle la promesse tacite de l’univers qui veille.
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Au fond de l’océan, tu suis les arcanes au sol, les veines du feu dans la terre comme des lignes dans tes mains, lignes de coeur qui tracent la carte que tu parcours.
Cet océan est contenu dans tes mains, inscrit sur tes paumes et s’appelle Conrad. Après la clairière, tu suis un chemin qui slalome entre les ossements des éléphants. Ils s’élèvent à plusieurs mètres au dessus de toi : défenses, restes de cartilages d’oreille, immenses dentitions. Ils vibrent encore à ton passage, tu sens encore la vie qui les parcourait et entends leurs voix qui respirent. Ce sont autant de colosses qui reposent ici.
A mesure que tu avances toujours guidé par la lumière du sol, tu aperçois un temple au frontispice étrange.
D’un coup dans ton cerveau apparait l’image d’Anvar qui te fait signe d’avancer, d’entamer la marche et la danse bleues et qu’autour de toi léviteront les carcasses abandonnées et les cris des abysses. Tu lèves ta paume droite en signe de salut et trace des cercles autour de toi comme pour les relever à distance. Peu à peu tu sens le poids de l’os et la masse de la moelle se soulever du sol, se loger dans ta main, tu sens le poids et son creux dans ta paume. Tes pieds commencent à glisser et tracent aussi dans la poussière du fond marin des cercles et des empreintes qui appellent le volcan au dessous de toi, le centre de la terre réagit à ton tracé.
Tes paumes face à l’espace devant toi et tes doigts en direction de la surface de la mer forment des lignes d’énergie au dessus de ta tête et partout autour de toi.